Le cours de Brent a dévissé de plus de 30% depuis le mois de juin et se situe actuellement à 70 USD le baril. Sur le marché américain, les obligations d’entreprises high yield du secteur de l’énergie se traitent actuellement à des niveaux de spread par rapport à l’indice élargi du marché high yield qui n’avaient pas été aussi bon marché depuis 2002. Dans le présent article, nous analysons les causes de ce repli des prix du pétrole, l’impact de la correction des matières premières sur le secteur de l’énergie au sein du marché high yield américain ainsi que le positionnement de nos portefeuilles sur ce secteur. L’évolution des prix des matières premières a toujours été délicate à anticiper ; aussi, nous cherchons à intégrer cette incertitude dans nos décisions d’investissement.
Une correction alimentée par l’offre et exacerbée par une demande inférieure aux attentes
La récente baisse des prix du pétrole s’explique fondamentalement par le fait que l’offre ait dépassé la demande. En effet, les marchés mondiaux du pétrole affichent actuellement un excédent d’offre d’environ 1 m barils/jour, sur une base quotidienne de 94 m barils/jour, soit un excédent d’environ 1% [1] [2] . L’offre mondiale de pétrole devrait ressortir en hausse d’environ 1,7 m barils/jour sur l’année 2014. Cette hausse proviendrait presque intégralement de sources externes à l’OPEP [3] , en particulier alimentée par la production américaine tirée des schistes bitumineux, qui a enregistré une croissance de 1,4 m barils/jour en 20141,2 . Dans ce contexte, alors que la demande reste orientée à la hausse, la progression n’aura pas été assez robuste pour absorber l’offre. En 2014, la croissance de la demande ressort à 1,0%, soit un niveau inférieur à la croissance annuelle agrégée sur trois ans de 1,3% (de 2011 à 2013). L’atonie de la demande s’explique par l’affaiblissement des conditions économiques en Europe, le ralentissement de la croissance au sein du monde émergent et les gains d’efficience des véhicules américains en matière de consommation de carburant.
Ce déséquilibre entre l’offre et la demande pourrait n’être que temporaire. Les perspectives de croissance de l’offre mondiale de pétrole restent incertaines et menacées par plusieurs risques, notamment 1) les troubles géopolitiques, en particulier dans les zones pétrolières du Moyen-Orient, 2) les effets négatifs des sanctions technologiques sur la production pétrolière russe, 3) une potentielle régulation de l’offre par l’OPEP en réaction à la baisse des prix du pétrole et 4) en dehors de l’OPEP, une baisse des dépenses d’investissement et de production au niveau des entreprises directement. D’après les estimations de l’AIE [4] , la demande mondiale de pétrole devrait croître de 1,0% d’ici 2015, et elle pourrait prochainement rebondir vers les niveaux anticipés par le consensus. Les perspectives de la croissance de la demande restent robustes à plus de 1% pour 2015 et 2016, selon l’OPEP et l’AIE. Bien qu’il soit difficile d’anticiper l’évolution des prix des matières premières, il suffirait qu’un seul de ces facteurs se confirme pour permettre un retour à l’équilibre de l’offre et de la demande sur les marchés mondiaux du pétrole et soutenir à long terme la hausse du cours de l’or noir.
La réaction du marché high yield américain face à la baisse du cours du pétrole
Il convient de noter que, récemment, l’indice Bank of America Merrill Lynch US High Yield pour le segment de l’énergie (J0EN) a sous-performé l’indice US High Yield élargi (J0A0) sur la base de l’écart spread-to-worst (prime de risque). Au sein du secteur de l’énergie, les spreads ont clôturé hier (1er décembre) à 193 pb audessus de l’indice élargi avec un spread-to-worst de 677 pb contre 484 pb pour l’indice.
Ce différentiel n’avait pas été aussi important depuis 2002 et il contraste fortement avec les moyennes de long terme. En effet, le secteur de l’énergie s’est traité à 101 pb au-dessus du marché high yield sur les treize dernières années (cf. graphique n°1). En dépit des incertitudes mentionnées ci-dessus, il semblerait que le marché intègre actuellement une évolution structurelle du cours du pétrole.
Graphique n°1 : un élargissement record des spreads du secteur de l’énergie au sein du marché high yield américain (Spreads du J0EN/J0A0 rapporté à la moyenne historique)
Une réaction excessive ?
En analysant de plus près le secteur de l’énergie sur le marché high yield américain, il semblerait que cet élargissement des spreads soit exagéré, et ce pour plusieurs raisons : (1) le secteur de l’énergie regroupe un large éventail d’entreprises qui n’ont pas toutes le même degré de sensibilité à l’évolution des cours des matières premières ; (2) historiquement, les taux de défaut du secteur de l’énergie sont largement inférieurs à la moyenne du marché high yield ; (3) le récent repli des prix du gaz naturel a été encore plus marqué, sans pour autant déstabiliser les taux de défaut du secteur de l’énergie ; (4) à long terme, le profil de maturité de la dette des entreprises du secteur de l’énergie n’a toujours que peu d’échéances sur les prochaines années ; (5) le profil de notation du secteur de l’énergie est généralement supérieur à celui du marché high yield dans son ensemble. Nous allons analyser plus en détail chacun de ces points ci-dessous.
Graphique n°2 : poids et performance de l’énergie dans l’indice US High Yield (J0A0) par sous-segment
En deuxième lieu, une inflexion des prix des matières premières n’a dans le passé jamais déclenché un rebond des taux de défaut du secteur de l’énergie. Dans ce secteur, les taux de défaut sont largement inférieurs à la moyenne de 19 ans du marché high yield américain, et sont actuellement les troisièmes plus faibles des 21 secteurs du marché, à 1,49% contre 3,12% pour l’indice (cf. graphique n°3). À 46%, les taux de remboursement sur les six dernières années sont supérieurs à la moyenne de 40% de l’ensemble des obligations d’entreprises [5] . Selon nous, les moindres taux de défaut et les taux de remboursement accrus du secteur de l’énergie s’expliquent par des facteurs structurels, du fait de la richesse en actifs du secteur et de la flexibilité financière des entreprises qui le composent. En règle générale, les entreprises du sous-segment de l’exploration et de la production couvrent une partie de leur exposition au risque liée à la volatilité des prix des matières premières, ce qui leur accorde un certain de temps pour réagir en cas d’évolution des conditions de marché. Les équipes dirigeantes ont également la possibilité de monétiser leurs actifs et de réduire leurs dépenses d’investissement pour conserver une liquidité supérieure.
Graphique n°3 : l’énergie affiche les troisièmes taux de défaut les plus faibles sur les 21 secteurs du marché (les 5 secteurs les plus élevés indiqués)
En troisième lieu, au cours des dernières années, la baisse des prix du gaz naturel a été nettement plus marquée que la récente inflexion du cours du pétrole. Or, les taux de défaut au sein du secteur de l’énergie ne sont pas pour autant repartis à la hausse. Le développement du gaz de schiste aux États-Unis a induit une baisse des prix du gaz naturel de 13 USD le mBTU en 2008 à 2 USD le mBTU en 2011. Bien que les prix semblent avoir trouvé un nouveau point d’équilibre autour de 4 USD le mBTU à l’heure actuelle, ils restent largement en-deçà de leurs points hauts relevés avant la révolution du gaz de schiste. L’absence de défauts déclenchés par le repli des prix du gaz naturel illustre la résistance du secteur de l’énergie. Aux États-Unis, les prix du gaz et du pétrole n’affichent pas le même degré de corrélation qu’en Europe, où les prix du gaz sont indexés au pétrole. Le pétrole est essentiellement utilisé comme carburant pour le transport, tandis que le gaz naturel est exploité à des fins de génération d’électricité ou pour des besoins de chauffage, et se trouve à ce titre en concurrence avec le charbon et les énergies renouvelables. Cette dynamique permet de diversifier davantage le risque d’exposition aux matières premières du sous-segment de l’exploration et de la production.
En quatrième lieu, le profil de maturité de la dette des entreprises de l’indice US high yield Energy Sector reste essentiellement à long terme, ce qui offre aux entreprises plus de flexibilité pour faire face à l’évolution des conditions de marché. Elles peuvent ainsi honorer plus aisément les paiements de coupon et le remboursement du principal. À titre d’exemple, moins de 10% de la dette du secteur de l’énergie sur le marché high yield arrive à échéance d’ici 2018 (cf. graphique n°4).
Graphique n°4 : profil de maturité de la dette par année de l’indice US High Yield (J0A0) par rapport à l’indice US High Yield Energy Sector (J0EN)
Enfin, le secteur de l’énergie du marché high yield est en moyenne mieux noté que le marché high yield dans son ensemble. Plus de 50% de l’indice Bank of America Merrill Lynch Energy est composé d’émissions notées BB, et près d’un tiers de ces émissions sont notées BB+, soit un cran en-dessous de la notation investment grade. En outre, les émissions notées CCC ou moins ne représentent que 11% du secteur (cf. graphique n°5). Cette tendance semble confirmée par les nouvelles émissions récemment placées par le secteur de l’énergie. En effet, près de la moitié du volume d’émissions placées par le secteur de l’énergie sur le marché primaire cette année (60 mds USD) est noté BB3 . À cet égard, il convient de noter que, fin novembre, Kinder Morgan a été relevé à investment grade, alors que l’émetteur représente 0,7% de l’indice élargi.
Graphique n°5 : Le secteur de l’énergie (J0EN) sur le marché américain est mieux noté que les indices (J0A0)
Impact du secteur de l’énergie sur les perspectives du marché high yield américain
En 2015, les anticipations de performance sur le marché high yield américain seront influencées par plusieurs facteurs, notamment les flux d’investissement au sein de la classe d’actifs, l’évolution des taux d’intérêt, le contexte macroéconomique et les taux de défaut. Les perspectives du cours du pétrole auront également un impact sur les performances à moyen terme du secteur de l’énergie. Nous avons analysé deux scénarios (un scénario de base et un scénario pessimiste) potentiels sur le secteur de l’énergie afin de déterminer leur impact sur la performance de l’ensemble du marché.
Dans le cadre de notre scénario pessimiste, nous avons intégré un taux de défaut cumulé de 30% pour le secteur de l’énergie sur les 24 prochains mois, avec un taux de remboursement de 35%. Nous estimons qu’il s’agit d’une estimation très conservatrice compte tenu des fondamentaux du secteur. En vertu de ce scénario, les anticipations de défaut pour le secteur de l’énergie augmenteraient d’environ 1,9% à 3%-4% au cours des 12 prochains mois. En termes de performance, le secteur de l’énergie enregistrerait, dans un tel scénario, une perte d’environ 1%, avec un impact à la baisse d’environ 100 pb sur les performances de l’ensemble du marché par rapport à nos prévisions situées actuellement autour de 5%.
En revanche, dans notre scénario de base, nous continuons d’anticiper une stabilisation des prix du pétrole autour des niveaux actuels, avec un taux de défaut nettement inférieur à celui mentionné ci-dessus. Sur la base de ce scénario, nous anticipons des taux de défaut plus modestes au sein du secteur de l’énergie, autour de 2% (à l’heure actuelle, mois de 2% des obligations du secteur se traitent en-deçà de 0,80 USD). En tenant compte de perspectives quelque peu plus optimistes sur l’évolution des cours du pétrole, nous anticipons un retracement d’au moins 50 pb suite à l’élargissement de 300 pb qui s’est produit par rapport au reste du marché. Dans ce scénario, le secteur de l’énergie surperformerait le marché et renforcerait de 50 pb nos perspectives de performance établies autours de 5%.
Indépendamment du scénario, le secteur de l’énergie n’aura qu’un impact limité sur la performance du reste du marché, du fait de la maturité et de la diversification de la classe d’actifs.
Positionnement du portefeuille
La volatilité du cours du pétrole continuera d’influencer la valorisation des titres au sein du secteur de l’énergie, notamment celle des obligations high yield. Bien que l’analyse ci-dessous présente une revue générale du secteur, nous cherchons en permanence à mieux contrôler les risques que le reste du marché. À cet effet, nous privilégions une sélection diversifiée au sein du secteur, incluant des entreprises actives dans l’exploitation de pipelines et la distribution, qui sont moins exposées à la baisse des prix des matières premières. Lorsque nous investissons dans des entreprises d’exploration et de production, nous ciblons celles dont les réserves sont moins coûteuses et de meilleure qualité, qui affichent des programmes de dépenses d’investissement prudents, une liquidité robuste et, si possible, qui ont couvert une partie de leur production. Nous passons également beaucoup de temps auprès des équipes dirigeantes. Les entreprises du secteur de l’énergie peuvent déployer plusieurs stratégies face à un repli des prix des matières premières. Pendant de telles périodes de volatilité des cours, ces entreprises peuvent initier des couvertures, recourir à des cessions d’actifs et réduire leurs dépenses d’investissement. Nous privilégions par conséquent les équipes dirigeantes qui disposent d’un large éventail de possibilités d’action et qui font preuve de prudence dans leur gestion.
En outre, nous avons investi d’importantes ressources pour évaluer les scénarios pessimistes au niveau des entreprises, via des analyses de stress tests, de scénarios, de liquidité, de covenant et de remboursement. Nous sommes convaincus que notre approche de recherche fondamentale est parfaitement adaptée aux conditions de marché actuelles, au sein desquelles la sélection de crédit sera essentielle.