Les marchés des capitaux sont les moteurs de la croissance économique. Lorsqu’ils fonctionnent efficacement, ils canalisent les capitaux vers les entreprises productives qui génèrent de la richesse et créent des emplois sur le long terme. Malheureusement, les marchés ne fonctionnent pas toujours comme ils le devraient. Les investisseurs n’ont pas toujours accès aux informations dont ils ont besoin pour évaluer de manière fiable les performances des entreprises, ce qui se traduit par des erreurs dans l’allocation des capitaux.
La recherche côté vendeur ("sell-side") est un des éléments de ce problème. En fournissant aux investisseurs analyses et recommandations, elle exerce une influence significative sur les comportements d’investissement, elle peut même en fin de compte décider du succès ou de l’échec d’une entreprise.
Toutefois, la recherche côté vendeur se préoccupe essentiellement de paramètres financiers à court terme, plutôt que de création de valeur à long terme, et elle ignore massivement les questions environnementales, sociales et de gouvernance (collectivement appelées "ESG"). De plus, cette recherche est souvent exagérément optimiste, et ne publie pas toujours les opinions négatives qui s’imposeraient sur certaines entreprises.
Aviva Investors a commandé une enquête auprès de quelque 342 analystes "sell-side" pour se faire une idée des difficultés et pressions qui les empêchent de mener des recherches approfondies et tournées vers le long terme. Les conclusions sont troublantes, et montrent comment les conflits d’intérêts commerciaux et les mécanismes incitatifs biaisés peuvent interférer avec l’évaluation objective de la performance d’une entreprise.
Conflits d’intérêts
Beaucoup d’analystes sell-side travaillent pour des banques d’investissement, qui occupent sur les marchés des capitaux une position d’intermédiaire entre les émetteurs et les investisseurs. Les rapports d’un analyste travaillant dans un service de recherche intéressent fréquemment les personnels de banque d’investissement et de relations investisseurs de la même banque.
Un tel cadre ne peut selon nous qu’entraîner des conflits d’intérêts. Notre enquête révèle qu’au moins 90 % des analystes généralistes adoptent une prudence supplémentaire lorsqu’ils abordent des thèmes sensibles pour la banque pour laquelle ils travaillent. De même, plus d’un tiers de ces analystes déclarent que pour protéger leur carrière, ils éviteraient d’écrire des articles susceptibles d’affecter négativement les relations commerciales de leur employeur.
La critique à l’égard d’un client ou d’un client potentiel de la banque est déconseillée, quoique pas toujours explicitement, tandis que les recherches qui génèrent une activité de transaction sont encouragées. Pour reprendre les termes d’un analyste sell-side : "Si votre étude est favorable aux banquiers, votre prime sera bonne". Une telle approche encourage le court-termisme sur l’ensemble des marchés. Les volumes de transactions augmentent car les investisseurs se laissent guider dans des transactions superflues, avec pour conséquence des positions à plus court terme.
Court-termisme
La focalisation des analystes sur le court terme résulte en partie de contraintes de temps. La plupart aimeraient sans doute rédiger des études plus approfondies, cependant ils ne consacrent que 12 % de leur temps en moyenne à l’étude des perspectives d’une entreprise au-delà de l’horizon d’un an, en partie parce qu’ils doivent également prendre en charge d’autres tâches telles que le démarchage de clients ou les présentations lors d’événements. Les analystes reconnaissent que ces pressions interfèrent avec la qualité de leur travail, et près de 42 % des analystes généralistes conviennent que la recherche sell-side souffre d’une focalisation sur le court terme qui nuit à sa qualité.
Un autre problème réside dans le fait que la plupart des analystes négligent les questions d’ESG, qui en général affectent une entreprise sur un horizon plus long.
Certaines banques d’investissement commencent à employer des petites équipes d’analystes spécialement dédiées aux questions d’ESG, mais la majorité d’entre elles continuent de dédaigner les questions de développement durable. Seuls 16 % des analystes généralistes prennent en compte l’impact environnemental d’une entreprise dans l’élaboration des dossiers d’investissement, malgré les nombreuses preuves démontrant que les questions ESG sont un facteur majeur de la performance à long terme.
Le moment de changer les choses
Les failles de la recherche sell-side ne sont pas qu’un problème de niche qui ne concernerait que les professionnels des marchés financiers. Des recherches faussées et incomplètes peuvent aboutir à des objectifs de cours ou à des notes qui ne reflètent pas réellement les perspectives à long terme des entreprises, entraînant potentiellement des erreurs d’allocation des capitaux et entravant l’efficacité des marchés. Pour assurer un capitalisme durable, les entreprises durables doivent être récompensées par un meilleur accès aux capitaux. La mauvaise qualité de la recherche sell-side interfère souvent avec ce mécanisme.
Afin de réparer ce système défectueux, tous les maillons de la chaîne d’investissement doivent unir leurs efforts pour amener le changement. Les entreprises doivent fournir de meilleures données sur leurs performances à long terme et sur leurs pratiques en matière d’ESG, pour permettre aux analystes d’intégrer ces informations à leurs rapports. Les directeurs de recherche des banques d’investissement doivent également favoriser une culture de travail encourageant et récompensant la recherche à plus long terme, tout en résistant aux pressions des autres segments de l’activité.
Les autorités réglementaires ont également leur rôle à jouer. Au Royaume-Uni, le département de la Stratégie commerciale, énergétique et industrielle pourrait entreprendre une revue des pratiques au sein des cabinets sell-side qui influencent les comptes rendus des analystes. De plus, la Financial Conduct Authority (autorité des marchés financiers du Royaume-Uni) pourrait recommander de fournir des perspectives au-delà d’un horizon de un an dans les rapports de recherche et de démontrer comment les considérations ESG importantes y sont intégrées.
MiFID 2
Les acteurs côté achat (buy-side) devraient aussi intervenir pour réclamer des standards plus stricts. La nouvelle Directive sur les marchés d’instruments financiers (Markets in Financial Instruments Directive - MiFID II) pourrait jouer un rôle de catalyseur à cet égard, en offrant aux investisseurs une opportunité de changer en profondeur la nature de la recherche sell-side.
Selon cette nouvelle directive, les sociétés d’investissement doivent payer directement leurs recherches, par le biais de comptes dédiés, plutôt que par le biais d’accords de commission comme cela était le cas précédemment. Si le côté acheteur montre clairement qu’il souhaite, qu’il nécessite et qu’il apprécie une recherche de valeur tournée sur le long terme et intégrant les questions de développement durable, alors les pratiques et habitudes devraient changer et les banques devraient suivre. Les analystes seront en mesure de dégager un avantage compétitif en proposant les recherches nuancées et objectives que recherchent les investisseurs.
MiFID II devrait aussi encourager l’apparition d’un plus grand nombre de fournisseurs de recherche indépendants des banques d’investissement. Cela devrait permettre l’émergence d’une recherche objective et de grande qualité, si le côté offre exprime clairement ses attentes et se montre prêt à être plus sélectif dans l’attribution de son budget de recherche.
Après l’adoption de MiFID II, les banques d’investissement, les gérants de portefeuille et les autorités réglementaires devront travailler ensemble pour s’assurer que la recherche côté vendeur guide les capitaux vers les entreprises qui génèrent de la valeur sur le long terme. Une meilleure recherche côté vendeur permettra de réajuster les moteurs de l’économie afin d’alimenter une croissance durable pour nous tous.