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Vers quels bouleversements dans l’industrie des fonds ?

La plupart des gestionnaires de fonds standards, les Mutual Funds par opposition aux Hedge Funds, font actuellement face à une situation des moins envieuses...

En effet, comme indiqué récemment dans le Financial Times , leurs actifs sous gestion se sont réduits de façon considérable, à tel point qu’ils font face à la situation la plus déplorable depuis une décade. Ceci intervient suite à une rentabilité languissante. Or, ce qui commence à sérieusement inquiéter les esprits c’est qu’après la soi-disant crise des Hedge Funds, qui à notre avis fut surtout une crise du système bancaire et met en évidence les incompétences des régulateurs en général, une crise des Mutual Funds risque de s’ensuivre. Mis à part l’impact, par ailleurs non-négligeable, que peut avoir l’effet de richesse (négatif) qu’engendre une baisse de la rentabilité fonds sur la consommation des investisseurs, l’industrie des fonds, elle aussi, risque de pâtir de la réduction des actifs sous gestion.

En effet, les Mutual Funds sont rémunérés en fonction de montant d’actifs sous gestion, dénommés Management fees, contrairement aux Hedge Fonds, qui eux perçoivent, outre les Management fees, des Performance fees qui dépendent de la performance du fonds. Ceci est d’ailleurs dû à la réglementation qui interdit l’existence de rémunérations de performance asymétriques. Cela dit, ce qui angoisse les gestionnaires de Mutual Funds, c’est que la réduction drastique des actifs sous gestion pourrait annoncer un changement structurel dans l’industrie des fonds et notamment un accroissement du degré de concurrence dans ce secteur. En effet, le secteur des fonds alternatifs, donc des Hedge Funds ainsi que celui des fonds passifs, dénommés Exchange Traded Funds (ETF’s), se seraient développés aux dépens des Mutual Funds activement gérés. En ce qui concerne, les ETF’s il s’agit de véhicules d’investissement différant des fonds standards de par leur liquidité, mais permettant de répliquer des indices boursiers.

D’un point de vue de l’analyse économique, les investisseurs choisiraient d’investir dans les composantes « beta » et « alpha » de manière isolée. A cet égard, un détour par la théorie financière n’est probablement pas de luxe. Cette dernière nous enseigne, bien sûr sous réserve d’hypothèses standards quant au comportement des investisseurs, que les rentabilités des actifs sont fonction des risques auxquelles ils donnent lieu. Cependant, la rentabilité ne dépend pas des risques considérés de manière isolée, car on peut les diversifier via la constitution d’un portefeuille. Ce qui est source de rentabilité, en vue de compenser les risques encourus, c’est le risque systématique, dénommé « beta ». Il mesure la relation statistique, plus précisément la corrélation, entre un indice de marché et la rentabilité de l’actif en question. Il existe dès lors des opportunités de rentabilité par profil de risque. Un investisseur peut donc s’attendre à une rentabilité plus ou moins élevée en fonction du « beta » de son portefeuille.

On suppose cependant que certains gestionnaires sont plus habiles à détecter des actifs mal évalués. On parle alors de « stock picking abilities ». Si un gestionnaire de fonds fait montre d’une habileté systématique à trouver des actifs mal évalués, il génère de « l’alpha », c’est-à-dire une performance supérieure à celle que l’on pourrait attendre étant donné le « beta » de son portefeuille. Les fonds standards activement gérés peuvent donc à la fois avoir de l’exposition au risque « beta » et générer de l’alpha. Ce que l’on semble cependant observer, c’est une tendance des investisseurs à investir dans des fonds ETF afin d’avoir une exposition au « beta » et de conjointement investir dans des fonds alternatifs afin de profiter de l’éventuel « alpha ». La systématisation de cette approche est d’ailleurs connue sous la dénomination « Core-Satellite investing ». L’approche consiste à investir dans un portefeuille passif qui réplique un indice standard tel le S&P 500 et puis d’investir une fraction du portefeuille dans un sous-portefeuille de Hedge Funds. Pourquoi un sous-portefeuille ? Eh bien, il s’agit de diversifier les risques et on peut dès lors s’attendre à un « alpha » moyen.

Ce qui est intéressant d’un point de vue intellectuel, voire académique, c’est que ces changements structurels semblent être en conformité avec une nouvelle vision évolutionniste des marchés financiers. En effet, d’après des auteurs tel Lo les marchés peuvent être analysés via une approche biologique par opposition à une approche purement mécanique et mathématique. Ainsi, les intervenants sur les marchés seraient soumis à un processus de sélection darwiniste. On ne suppose plus l’existence d’un investisseur rationnel type, mais différentes familles d’investisseurs et de structures, toutes avec des biais cognitifs et plus ou moins aptes à survivre sur le marché. Si l’approche évolutionniste s’avère correcte, on peut se demander si les Mutual Funds activement gérés ne sont pas condamnés à « mourir ». C’est peut être justement pour éviter cet état de fait que l’industrie des fonds standards est en pleine phase d’innovations avec des produits du type 130/30, c’est-à-dire des fonds qui peuvent utiliser des techniques de vente à découvert pour mieux exploiter un éventuel différentiel de rendement, la vente à découvert ne devant pas excéder certaines limites par opposition aux Hedge Funds. Par ailleurs, certains institutionnels commencent à introduire des « performance fees », outre les traditionnels « asset management fees ». On observe donc une tendance des fonds standards à appliquer des techniques des fonds alternatifs.

Ce qui risque cependant de bouleverser cette sorte de convergence, c’est que d’après de récentes recherches , les situations de détresse des fonds standards seraient exploitées par les Hedge Funds. Le mécanisme serait le suivant. Considérons un intervenant qui sait qu’un ou plusieurs grands investisseurs doivent vendre des actifs de telle manière à ce qu’un impact sur les prix des actifs considérés soit assez probable. L’intervenant à deux stratégies à sa disposition. Il attend que le gros investisseur ait vendu l’actif et l’achète alors. Il fournit en quelque sorte de la liquidité. Il y a cependant une stratégie beaucoup plus vicieuse. L’intervenant en question n’attend pas et vend à découvert l’actif avant que le gros investisseur le vende lui-même et peut ainsi renforcer la baisse des prix des actifs pour racheter l’actif moins cher. Il s’agit de ce que l’on appelle une stratégie de « front-running ». Il se trouve justement que cette stratégie peut être mis en œuvre par des Hedge Funds, étant leur liberté du champ d’action et leur taille.

Le document de recherche mentionné cherche justement à tester si les Hedge Funds se sont adonnés à des stratégies de type « front-running ». A cet égard, les auteurs montrent, tout d’abord, que si certains actifs sont dans plusieurs fonds en détresse, ces actifs sont sujets à de fortes pressions de prix. Les fonds en détresse sont ceux qui, récemment, ont connu une réduction considérable des actifs sous gestion. Ce fait permet justement aux Hedge Funds d’anticiper quels seront les fonds en détresse et de mettre en place la stratégie considérée. Si la stratégie est mise en œuvre de manière systématique par certains fonds, il devrait aussi y avoir une relation inverse entre la rentabilité des Hedge Funds en question et les fonds en détresse. Justement c’est ce que l’on semble observer dans les données empiriques. Les situations de détresse standards ont en moyenne un impact de 30 à 40 points de base sur la rentabilité mensuelle des Hedge Funds.

Certes, une telle relation n’indique pas nécessairement que des stratégies du type « front running » soient à l’œuvre. Tout d’abord, il se pourrait que d’autres facteurs aillent de pair avec les situations de détresse des fonds. Ainsi, une volatilité accrue des marchés pourrait inciter les investisseurs à retirer certains de leurs actifs, alors que ce même accroissement de la volatility pourrait s’avérer bénéfique pour les Hedge Funds. Puis, le fait qu’une situation de détresse des Mutual Funds aille de pair avec une rentabilité accrue des Hedge Funds n’indique pas nécessairement du « front running », car les Hedge Funds pourraient être pourvoyeur de liquidité ex-post. L’analyse de l’historique des rentabilités indique cependant que la rentabilité s’accroît au moment de la situation de détresse et non pas dans les mois qui suivent, ce qui permet de retenir l’hypothèse du « front running ». Par ailleurs, les auteurs analysent ce que l’on appelle le short interest, qui mesure le pourcentage d’un actif vendu à découvert et traduit donc les conditions d’offre et de demande à découvert. Les auteurs constatent alors que les actifs vendus en situation de détresse des fonds standards sont soumis à de fortes pressions à la hausse du short interest. Tout semble donc indiquer que des comportements de « front running » soient à l’œuvre.

Il semblerait donc que l’industrie des fonds standards, du type actif mais non-alternatif, soit soumise à de fortes pressions concurrentielles et risque de connaître quelques bouleversements pendant les mois qui suivent. En passant, notons que certains régulateurs semblent considérer l’industrie des fonds comme non-soumise aux pressions concurrentielles et ceci en raison des « fees » soi-disant élevés. Les développements structurels en cours ainsi qu’un article de Coates et Hubbard invalident l’hypothèse de non-concurrence. On constate ici ô combien les régulateurs et les autorités de concurrence peuvent s’avérer dangereux, surtout si ils ne sont pas dotés d’économistes de haut vol. En ce qui concerne les fonds, affaire à suivre !

Michel Verlaine Mai 2008

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