A l’occasion du lancement le lundi 16 avril sur la bourse allemande EUREX d’un contrat à terme sur les emprunts d’état français, nous avons entendu de nombreux politiques associer ce contrat au pouvoir dictatorial des marchés et à la mainmise de la finance sur le politique. Certes la plupart ont pour excuse une mécompréhension de l’utilité et du fonctionnement des marchés financiers, mais aussi l’absence d’une véritable expérience dans le secteur privé susceptible d’affiner leur connaissance des contraintes qui pèsent sur les atteintes d’objectifs de résultats bruts d’exploitation. Toutefois, ils n’ont pas d’excuse lorsqu’ils travestissent la réalité auprès des citoyens.
EXPLICATIONS ET MISES AU POINT
1. Un produit vanille (simple) et utile
Ce produit financier est on ne peut plus simple dans sa compréhension et n’a absolument rien à voir avec des produits structurés toxiques à effet de levier que l’on a vu naitre il y a quelques années comme les titrisations à base de dérivés de crédit. Il s’agit d’un contrat à terme permettant de se couvrir contre des variations défavorables des taux d’intérêt des emprunts d’état français de la zone 7-10 ans.
Il peut d’ailleurs être tout à fait utile à un investisseur institutionnel français qui gère l’épargne de millions de citoyens et qui anticipe pour de bonnes ou de mauvaises raisons (sans attaques spéculatives particulières) une hausse des taux à long terme sur la dette publique française ; celui-ci viendra alors vendre un nombre de contrats à terme échéance dans 6 mois par exemple équivalent à la position d’OAT du trésor français qu’il souhaite couvrir (il y a toute une technique pour calculer « scientifiquement » le nombre de contrats à négocier en déterminant la corrélation à un instant donné entre l’élément couvert et l’instrument de couverture). Ainsi si au bout des 6 mois, les taux d’intérêt ont effectivement monté, alors le contrat à terme aura fortement baissé et les pertes de valeur enregistrées sur le portefeuille de titres d’état français détenus auront été compensées par des gains sur les contrats à terme et la rentabilité de l’épargne investie aura été protégée. Si d’aventure les taux baissaient et donc les contrats à terme montaient, les pertes sur les contrats seraient neutralisées par une revalorisation du portefeuille d’obligations détenues.
On ne peut fixer comme objectif à un contrat à terme sur instruments financiers ou tout autre produit dérive d’éviter qu’il y ait des positions ouvertes spéculatives. C’est un non sens et une absurditéMory Doré
De même, un investisseur qui anticipe dans 3 mois une forte baisse des taux d’intérêt (donc une hausse des contrats) sur la dette publique française et qui sait qu’il aura des programmes de souscription importants de titres d’état français à mettre en place pourra alors décider d’acheter le nombre de contrats à terme nécessaire. Si l’anticipation se réalise, le manque à gagner sur les investissements futurs en titres d’état à des taux de rendements plus faibles sera compensé par des gains sur les couvertures négociées en achetant les contrats à terme. Si les anticipations se sont révélées erronées, les pertes sur les couvertures vont être neutralisées par des investissements à des taux de rendement plus élevés.
On comprend alors mieux l’utilité d’un tel produit mais c’est sans doute plus payant politiquement de ressortir l’hydre de la spéculation (on verra plus loin ce qu’il faut vraiment entendre par spéculation).
2. Un concept qui n’est pas nouveau...
Il faut savoir que ce type de produit financier a existé sur le marché à terme des instruments financiers de Paris (le fameux MATIF) entre 1986 et le début des années 2000 sous le nom de Notionnel Matif. Avez-vous alors entendu des hommes politiques décrier ce type de produits à l’époque ? Non bien entendu car soit ils ne savaient pas trop que ce type de pratique existait, soit ils ne s’en préoccupaient pas trop car il n’y avait aucun dividende électoral à obtenir en se considérant comme l’ennemi de la finance. On ne se préoccupait pas trop non plus des traders , des agences de notation , des produits dérivés….
Ce contrat notionnel en Franc de 1986 à 1999 est tombé en désuétude dès les premières années d’existence de l’euro pour une raison simple. Il existait sur le marché à terme de la bourse de Francfort (le DTB pour Deutsche Terminbörse) un contrat cousin, le contrat Bund destiné à couvrir les portefeuilles de titres d’état allemands. En 1999, le contrat Bund en Deutschemark a naturellement été remplace par le Contrat Bund en Euro. Ce dernier est alors devenu la référence de couverture pour tous les emprunts d’état de la zone Euro eu égard à sa forte liquidité.
Selon Stanislas de Bailliencourt, gérant chez Sycomore AM, la création de ces contrats à terme future devrait montrer la maturité et l’efficience du marché obligataire français...
L’efficacité des couvertures de portefeuilles d’OAT françaises ou même de BTP italiens par des contrats BUND était au rendez vous tant que le comportement des obligations d’état de ces pays étaient à peu près parfaitement corrélées aux obligations d’état allemandes. La déconnexion observée depuis 2010 en Italie et 2011 en France a privé les investisseurs en titres d’état italiens puis français d’un instrument de couverture efficient. Ceux qui ont couvert depuis de nombreux mois des portefeuilles d’OAT par des ventes de contrats BUND ont pu alors perdre à la fois sur les OAT couvertes dont le taux montaient et sur les ventes de contrats dont les cours montaient avec la baisse des taux allemands.
Il était techniquement et financièrement légitime de recréer un contrat à terme sur les emprunts d’état français composé d’un gisement de titres de 7 à 10 ans par construction correctement corrélé aux titres à couvrir. D’ailleurs, il ré-existe depuis plus d’un an un contrat à terme BTP sur les emprunts d’état italiens. Je n’ai pas entendu à l’époque de déclarations fracassantes de responsables politiques italiens s’indignant d’un complot contre la dette publique transalpine. Tout comme le Bund et le BTP, le nouveau contrat à terme sur la dette française est négocié sur l’Eurex (pour European Exchange). Ce marché à terme est né en 1998 de la fusion entre le DTB et le SOFFEX de Zurich (Swiss Options and Financial Futures Exchange)
3. Spéculation et régulation : Attention aux amalgames
On ne peut fixer comme objectif à un contrat à terme sur instruments financiers ou tout autre produit dérive d’éviter qu’il y ait des positions ouvertes spéculatives. C’est un non sens et une absurdité Il doit exister des traders-spéculateurs et des arbitragistes pour que les investisseurs puissent couvrir leurs risques sur les marchés financiers.
A la suite de plusieurs déclarations qu’il juge trompeuses et inexactes, François Baroin, Ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, apporte des éléments de clarification sur la récente initiative d’une plateforme boursière de créer un nouveau contrat dérivé « future » (...)
Ces investisseurs transfèrent sur les Banques de financement et d’investissement les risques financiers qu’ils ne peuvent pas supporter d’un point de vue économique et réglementaire.
Les spéculateurs, même si leur objectif reste court-termiste et consiste avant tout à maximiser leur P&L, créent une liquidité indispensable au fonctionnement des marchés (interdire la spéculation, c’est supprimer l’existence du marché, c’est donc supprimer toute couverture pour les agents économiques privés). Les arbitragistes, quant à eux, jouent un rôle de régulation des prix de marché et profitent des anomalies de valorisation de certains actifs (on vend ce qui est surévalué et achète ce qui est sous évalué). Il peut y avoir des limites liées aux modèles d’évaluation d’actifs et ce type d’intervenants a souvent massivement recours à l’effet de levier (moins aujourd’hui car il coute pus cher de le financer) pour rentabiliser ces stratégies. Mais globalement, tout comme l’activité de trading, ce type de métier participe au fonctionnement efficient des marchés.
Il faut certes réguler mais ne pas tout confondre et surtout ne pas empêcher
- les investisseurs particuliers et institutionnels de long terme de faire fructifier sereinement leur épargne
- les investisseurs institutionnels et trésoriers de couvrir leurs risques dans des conditions économiques satisfaisantes (grande liquidité ainsi que prix concurrentiel et transparent des instruments de couverture)
Ceci ne remet pas en cause des régulations intelligentes et non contre-productives. Nous citerons deux pistes de réflexion :
Il faut réduire l’effet déstabilisant des variations du prix de certains actifs sur l’économie. Ceci suppose un aménagement des normes comptables IFRS voire la renonciation au mark to market pour certains types d’instruments financiers et certains types d’acteurs des marchés financiers.
Il faut aussi imposer certaines limites au poids de certains actifs structurés, illiquides et à levier important dans certains portefeuilles (en les pénalisant par exemple en termes de fonds propres consommés). Et à cet égard, le nouveau contrat à terme sur la dette publique n’est ni structuré, ni illiquide (ce devrait même être tout le contraire) et sera caractérisé par un levier normal propre à tout instrument dérivé classique.
LA MAUVAISE FOI DES POLITIQUES
En tout cas , il ne faudrait pas oublier que nombre d’ hommes politiques si prompts à faire le procès des marchés financiers aujourd’hui en arrivent à oublier que ce sont eux , quels que soient leurs bords politiques , qui ont purement et simplement délégué leurs politiques économiques à ces mêmes marchés au début des années 1980 dans le monde anglo-saxon et depuis le milieu des années 1980 en Europe continentale. C’était alors la fameuse période des 3 D : dérégulation, désintermédiation et déréglementation.
Petit point sur les relations complexes, incomprises, tumultueuses entre marchés financiers et politiques. En ces temps troublés ou les marchés attendent soi-disant des réponses claires de la part des politiques et ou dans le même temps, les mêmes marchés sont accusés de (...)
A cette époque, les marchés étaient parés de toutes les vertus : financement efficace de l’économie en désintermédiant la relation entre le prêteur et l’emprunteur ; financement massif et efficace des dettes publiques (comme en France avec la participation de banques –SVT –spécialistes en valeurs du trésor lors des adjudications mensuelles de titres d’état).
Alors, il est facile de condamner aujourd’hui la prétendue folie des marchés car, après tout, pourquoi on leur demanderait de souscrire aux émissions de bons du trésor des Etats et leur interdirait de vendre ceux-ci lorsqu’ils estiment, à tort ou à raison, que les politiques budgétaires ne sont pas suffisamment rigoureuses et mettent en danger la solvabilité de certains états.
La disparition du risque de change avec la création de l’euro a malheureusement conduit à un relâchement des disciplines budgétaire et fiscale des pays ayant déjà des déficits extérieurs. La hausse de l’endettement extérieur des pays déficitaires de la zone Euro fut naturellement facilitée par la disparition du risque de change et le financement des déficits extérieurs de certains pays par les excédents d’autres pays. Jusqu’au moment ou les marchés ont compris que certains de ces pays étaient entrés dans une crise non de liquidité mais de solvabilité. On a alors eu recours à la BCE pour qu’elle finance directement la dette de ces pays ou indirectement via les LTRO qui ont permis aux banques des pays déficitaires de continuer à acheter la dette souveraine nationale. Les effets des LTRO s’estompent cependant très vite : par exemple, les banques espagnoles auraient aujourd’hui épuisé leur liquidité banque centrale issue des LTRO et qui avait servi à acheter de la dette souveraine espagnole et à rembourser les échéances d’une bonne partie de l’année 2012.
L’accalmie relative des dernières séances de bourse masque des tensions fortes et de nombreuses anomalies toujours signalées par des indicateurs de suivi de crise. Zoom sur deux jauges : le montant des dépôts overnight à la BCE et le poids des LTRO par rapport à celui des MRO dans (...)
Aujourd’hui, des primes de risque de change réapparaissent donc malgré une monnaie encore unique et la crise des dettes souveraines en zone euro des années 2010 est en train de remplacer la crise des changes du SME des années 1990. On ne peut donc plus s’affranchir de la discipline budgétaire et fiscale. Et lorsque 70% de votre stock de dette 1700 Mds€ est détenu par des investisseurs non résidents comme c’est le cas de la France, vous ne pouvez pas ignorer les exigences des marchés et agences de notation (sauf à vouloir se diriger vers un moratoire sur une partie de votre dette publique, donc sur un défaut partiel suicidaire).
FAIRE LES BONS CONSTATS ET ERADIQUER LE POPULISME
Il n’y a rien de choquant à dire et écrire que notre pays vit au-dessus de ces moyens (on entend certains hommes politiques l’évoquer mais du bout des lèvres). C’est l’évidence même quand l’on examine nos ratios de déficit et de dette publics au regard de notre croissance potentielle et de notre capacité à accroître la pression fiscale sans dégrader encore plus la conjoncture (nous ne sommes dans doute plus très loin du point haut de la Courbe de Laffer à partir duquel toute hausse supplémentaire de la fiscalité décourage l’activité et fait donc baisser les rentrées fiscales …)
la croissance sans la vertu budgétaire ne sert à rien et la rigueur budgétaire sans la croissance tout autant.
Donc les marchés ont besoin de croissance économique pour que les actifs dits risqués performent : les actions, les obligations corporate high yield et investment grade, les actifs indéxés sur la performance des matières premières. Mais ils ont aussi besoin d’une gestion rigoureuse des deniers publics pour que les actifs assis sur la solvabilité des émetteurs soit assurée : obligations d’état, obligations bancaires et dans une moindre mesure obligations corporate.
L’enseignement est simple : la croissance sans la vertu budgétaire ne sert à rien et la rigueur budgétaire sans la croissance tout autant. Si les marchés sont convaincus que les responsables politiques sont capables de créer les conditions de la croissance économique dans un environnement de maîtrise des équilibres financiers et de gestion rigoureuse des deniers publics, alors toute attaque spéculative n’aura aucune crédibilité et sera morte née.
Cela veut dire qu’il faut distinguer entre les bonnes et les mauvaises dépenses, étant entendu que les bonnes dépenses sont celles qui sont rentables et favorisent la croissance. Ce qui signifie une politique de l’offre dans les pays à faible potentiel de croissance (Europe du sud, France…) ou une politique de la demande (cas de l’Allemagne) si les entreprises sont suffisamment profitables, autofinancées et l’économie suffisamment compétitive.
Voilà pour le coté dépenses. Coté recettes, il faut distinguer entre les bons et les mauvais impôts, les bons impôts étant ceux qui ne découragent pas la croissance (dans le cas d’une politique de l’offre en taxant la consommation et en détaxant les facteurs de production susceptibles d’être délocalisés).