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Vers une approche évolutionniste des marchés financiers

Si les prix des actifs intègrent toute l’information disponible à chaque moment, on ne peut battre le marché que par hasard...

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Les modèles standards en Finance ont quelque chose de désolant. En effet, la théorie financière nous enseigne que les marchés devraient converger vers l’efficience, terme désignant le fait que les prix des actifs devraient, à chaque moment, intégrer l’information disponible. Si les prix des actifs intègrent toute l’information disponible à chaque moment, on ne peut battre le marché que par hasard. Il faut cependant noter que l’information n’est définie que par rapport à un modèle d’équilibre. On suppose donc que les agents économiques apprennent assez rapidement la structure sous-jacente de l’économie et que cette structure reste relativement stable. Il peut y avoir ce que les économistes appellent des chocs, mais les relations structurelles sont censées être stables. On suppose en outre que les heuristiques sont plus ou moins les mêmes pour tous les agents économiques, c.-à-d. ils utilisent plus ou moins la même approche statistique et rationnelle, celle-ci étant supposée objective. Ceci amène à des modèles du type Modèle d’Equilibre des Actifs Financiers (MEDAF) qui mettent en relation rentabilité des actifs et risque systématique.

La stabilité du système implique aussi une certaine stabilité des préférences des investisseurs. Or, de récentes recherches en neurosciences mettent en évidence le fait que les comportements diffèrent fortement de ceux supposés par la théorie économique. L’approche standard suppose notamment que les agents économiques décident rationnellement et consciemment sur la base d’évaluations des probabilités de survenance d’événements et d’évaluations du bien-être dans différents états possibles. Par exemple, quelle est la probabilité que le marché baisse ou monte et quelles sont les valeurs de gains ou pertes subjectives. Les neurosciences, par contre, enseignent que le cerveau peut être divisé en trois régions. Le cerveau « reptil », la partie la plus ancienne et qui régule la respiration et les battements du cœur. Le cerveau « mammal », qui loge les instincts et les sentiments. Enfin, le cerveau « hominid », la partie responsable des décisions rationnelles.

Partant de cette division, les neurosciences ont recours à différentes techniques afin d’isoler les régions en activité lors de la résolution de problèmes spécifiques. Ainsi, lorsque l’on propose à des individus de résoudre des problèmes de décision ou d’investissement, la connaissance ou non des probabilités des scénarios a une influence sur la région du cerveau en activité. Lorsque les probabilités sont connues, des régions plus récentes du cerveau « hominid » sont en activité. Pourquoi ce constat est-il important ? Eh bien, si des décisions où les probabilités ne sont pas connues mobilisent des régions du cerveau « mammal », il n’est plus garanti que ces choix respectent des axiomatiques mathématiques qui sont logées dans la partie « hominid » du cerveau. C’est justement ce que l’on observe, les choix des individus souvent ne respectent pas les axiomes de base des probabilités.

Il est vrai que les individus, en général, exhibent un certain nombre d’anomalies cognitives. On note notamment une tendance vers l’excès de confiance (overconfidence). Ainsi, les individus ont-ils tendance à associer des événements positifs largement dus au hasard, à des capacités supérieures. Par ailleurs, les psychologues spécialistes du comportement en incertain ont-ils noté que les individus ont souvent du mal à faire abstraction de jugements de valeur dans leurs décisions en incertain. Ceci conduit à des raisonnements qui sont contraires aux axiomes de base des théories des probabilités. Enfin, les mêmes psychologues notent aussi le fait que les individus ont des comportements asymétriques face aux gains et aux pertes. Ainsi, seraient-ils averses au risque lorsqu’il s’agit de gains, alors qu’ils sont « risk-lovers » lorsqu’il s’agit de pertes. Or, on peut montrer que ce type de comportements peut mener à des constitutions de portefeuille sous-optimales.

Les neurosciences permettent de mieux comprendre ce qui génère cette sorte « d’irrationalité ». A cet égard, on part de l’hypothèse que la structure « triune » du cerveau (« reptil », « mammal », « hominid ») est la résultante d’un processus évolutionniste dans lequel les fonctions de base de survie sont apparues en premier, puis les comportements sociaux et enfin les capacités intellectuelles. Ceci implique que le partie « mammal » et la partie « hominid » sont souvent en contradiction. Ceci arrive notamment lorsque les émotions prennent le pas sur les décisions rationnelles. Il faut cependant noter que la fonction des émotions est entre autres de prendre des décisions rapides lorsqu’une décision rationnelle prendrait trop de temps, par exemple lorsque l’on rencontre un animal dangereux. Cela dit, les réactions mènent souvent à des comportements non optimaux au regard de notre environnement actuel.

En tout cas, ce que les économistes appellent les « préférences » est en fait la résultante d’interactions compliquées entre différentes régions du cerveau. Cette remarque n’est pas du tout anodine car ceci implique que ces « préférences » ne sont pas nécessairement stables à travers le temps et peuvent dépendre d’un grand nombre de facteurs tenant à la fois la personnalité du décideur et à son environnement. Les « préférences » seraient en fait évolutives et s’adapteraient à l’environnement. Cette approche amène certains chercheurs, notamment A. W. Lo , à fonder l’hypothèse de marchés financiers adaptatifs comme approche alternative à l’efficience des marchés. Les marchés seraient ainsi soumis à un processus évolutionniste de sélection naturelle et d’adaptation des comportements. Ainsi, ceux qui auraient un comportement irrationnel seraient progressivement éliminés du marché. Le terme progressivement est important car le marché n’est plus efficient à chaque moment, mais tend progressivement vers plus d’efficience. Le corollaire étant que contrairement à ce qu’enseigne la littérature académique standard, il y a place pour une gestion de patrimoine active et à valeur ajoutée. On peut alors battre le marché !

Michel Verlaine Mars 2008

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