A cet effet, il est généralement supposé que les différents profils de risque d’investisseurs impliquent différentes combinaisons de portefeuille, plus ou moins agressives ou risquées. A un investisseur plus conservateur, c.-à-d. plus rétif au risque, on proposerait un portefeuille dont la part des obligations par rapport aux actions serait relativement élevée. Plus l’investisseur serait disposé à prendre de risques, plus la part d’actions dans son portefeuille serait susceptible d’être élevée. La sélection du profil de risque de l’investisseur quant à elle n’est pas chose facile. En général, les professionnels en charge de la clientèle essaient de le cerner à partir de questionnaires et d’interviews. Des grilles de portefeuilles plus ou moins risquées, c.-à-d. des rapports actions-obligations plus ou moins élevés, sont alors proposés aux clients.
Il faut cependant remarquer que cette approche n’est pas tout à fait cohérente avec ce qu’enseigne la littérature théorique. En effet, le théorème de séparation des fonds explique que les investisseurs devraient constituer des portefeuilles en combinant le taux d’intérêt hors risque avec ce que l’on appelle le portefeuille de marché. Effectivement, la théorie suppose que les investisseurs arbitrent entre la rentabilité attendue d’un portefeuille et sa variabilité, mesurée par l’écart type ou la variance, mesure de la déviation moyenne des rentabilités par rapport à la rentabilité moyenne. On suppose aussi que tous les actifs peuvent être librement négociés sans limites d’endettement. Enfin, si les investisseurs disposent plus ou moins de la même information (hypothèse d’efficience des marchés), les opportunités d’investissement sont les mêmes. On peut alors montrer qu’il existe un portefeuille de marché que tout le monde devrait détenir. En fait, le profil de risque ne devrait déterminer qu’exclusivement la part investie dans le taux sans risque.
Les premiers économistes à avoir mis l’index sur l’incohérence entre les recommandations théoriques et la pratique furent Canner et al. (1997) [1]. En effet, les auteurs montraient que les recommandations des grands gestionnaires de fonds de l’époque (Fidelity, Merril Lynch, Bryant Quinn) divergeaient fortement d’une allocation entre actif non risqué et portefeuille constitué d’un rapport constant entre actions et obligations. Cette incohérence entre recommandation théorique et pratique donne lieu à une énigme, dénommée « l’énigme de l’allocation des actifs » (Asset Allocation Puzzle). Un certain nombre de facteurs ont été invoqués, or d’après les auteurs mentionnés, aucun n’est susceptible de fournir une explication satisfaisante de cette énigme. Les développements récents en économie comportementale ont cependant ouvert une voie prometteuse. Ainsi, Shefrin et Statman (2000) [2] ont développé une théorie comportementale du portefeuille (Behavioral Portfolio Theory).
Le but de ces auteurs était de fonder une théorie du portefeuille qui soit plus réaliste en termes de présupposés sur les comportements des investisseurs face au risque. En effet, la littérature standard en Finance suppose que les investisseurs se préoccupent surtout de la variance des rentabilités. Or cette variance donne une mesure des écarts moyens par rapport à la rentabilité moyenne escomptée. Ce qui gêne ici c’est le fait que les écarts à la moyenne ont le même impact sur cette mesure qu’ils soient positifs ou négatifs. Cette variance est appelée volatilité par les financiers. Là où le bât blesse, c’est que les individus sont en général plus sensibles aux réalisations de rentabilités en dessous de la moyenne qu’à celles au-dessus. On parle de loss aversion. Cette notion de loss aversion est cependant à comprendre dans un sens très spécifique et cela nécessite de s’attarder quelque peu sur la modélisation des comportements en incertain.
Le corpus théorique auquel se réfèrent Shefrin et Statman est le modèle SP/A de choix en incertain. Les majuscules désignent Security , Potential et Aspiration . La notion de sécurité désigne le fait que l’investisseur désire s’assurer contre une perte maximale de son portefeuille. L’aspiration désigne la rentabilité de référence de l’investisseur, c.-à-d. celle à laquelle il s’attend pour les risques encourus. Potentiel reflète son désir de gains considérables. Cette dernière composante peut être illustrée par le comportement des individus face aux loteries. En effet, même si la plupart des individus sont rétifs aux risques - l’achat d’assurances en fournit la preuve - un grand nombre d‘entre eux achète néanmoins des billets de loterie. L’explication de ce genre de comportements, qui est difficile à expliquer dans le cadre théorique standard, peut facilement être expliquée avec le modèle SP/A. Effectivement, l’individu achète l’assurance pour des raisons de sécurité et il achète le billet de loterie pour des raisons de potentiel. Ce comportement serait issu de deux forces antinomiques : la peur et l’espoir.
Comment ces composantes sont-elles modélisées de manière compacte ? Tout d’abord, la composante sécurité se traduit par une limite sur la probabilité de la valeur du portefeuille de tomber en dessous d’un certain seuil. Cela dit, la peur se traduit souvent par une pondération excessive des probabilités (observées) de perte du portefeuille. A noter que cette mesure de perte du portefeuille est calculée par les institutions financières. Il s’agit de la célèbre Value-at-Risk qui indique la perte maximale pour un seuil de probabilité et intervalle de temps donnés. Les investisseurs sont donc censés choisir des portefeuilles en fonction d’une Value-at-Risk et d’une rentabilité attendue, ces dernières étant calculées avec des probabilités ajustées pour leur profil de risque.
Ce résultat est à opposer au cadre dans lequel des investisseurs choisissent en fonction de la rentabilité attendue et de la variance, toutes les deux calculées à partir des données objectives, c.-à-d. il n’y a pas d’ajustement pour tenir compte du profil subjectif de risque. L’approche proposée par Statman et Shefrin n’implique donc pas que les investisseurs investissent dans le même portefeuille de référence. Au contraire, en fonction de son profil de risque, l’investisseur est censé inclure différentes catégories d’investissement (styles) dans son portefeuille. Par exemple, pour s’assurer contre une diminution de valeur de son portefeuille il inclurait des obligations relativement moins risquées, mais en vue d’avoir une faible chance d’avoir des gains élevés, il inclurait en outre une part d’actifs à faible rentabilité pouvant donner lieu à des gains énormes, tel les tickets de loterie.
La théorie du portefeuille comportementale semble donc revêtir une importance primordiale, et ceci à la fois en termes d’explication des comportements observés sur les marchés et d’outil de décision pour les « Asset Mangers » et les banquiers privés. Surtout, cette approche donne une explication satisfaisante de l’offre de produits financiers, c.-à-d. un différent compartimentage des fonds en fonctions des profils de l’investisseur, proposée par ces institutions. A cet égard, les recherches récentes sur les mesures de risque ainsi que la catégorisation des profils types des investisseurs seront certainement d’une aide précieuse pour ces institutions.