Lorsqu’il m’a été proposé de rédiger un papier sur l’évolution, sous le prisme du portail Next-Finance, de la finance quantitative en France. J’avoue avoir été surpris. Surpris car bien que professionnel de la finance, j’ai du mal à définir précisément le concept de finance quantitative. Qu’appelle-t-on finance quantitative ? Un rapide tour sur la toile révèle que le terme est souvent utilisé dans les milieux professionnels ou académiques. J’ai alors réalisé que je devais être l’un des rares à avoir des difficultés à en définir le contour : l’exercice devait être réalisé et j’ai accepté la proposition.
COMMENT DÉFINIR LA FINANCE QUANTITATIVE ?
Une définition simple pourrait être un sous domaine de la finance qui se caractériserait par l’usage de l’outil quantitatif, par opposition à la finance classique basée sur les fondamentaux. Pourquoi pas ! Mais alors, peut-on maintenir cette définition lorsqu’on observe que les fondamentaux se mesurent ou s’évaluent à l’aide de données numériques agrégées, statistiques ou techniques relevant du domaine quantitatif ? Bon, précisons notre définition. La finance quantitative serait cette fois un sous domaine dont le processus décisionnel est basé sur des modèles mathématiques ou physiques. Satisfait ? Pas vraiment ! Existe-t’il d’autres domaines dans lesquels l’usage des techniques d’analyses mathématiques et physiques ont laisse une telle empreinte ? Il y’a bien l’économétrie en économie mais je note une différence non négligeable : l’économétrie est d’abord considérée comme de l’économie alors que la finance quantitative est d’abord percue comme quantitative avant d’être "finance". Finalement, plutôt que de rechercher une définition globale, peut-être est-il préferable de regarder le profil de ces financiers considérés comme des « quants » en France afin d’éventuellement arriver à une généralisation.
LE « QUANT » EST UN MATHÉMATICIEN.....
Les premières appellations « quant » en France ont principalement concernées une population de financiers évoluant au sein de la banque d’investissement, plus précisement dans les activités de structuration et pricing de produits de dérivés. L’activité prend son essor en France dans les années 90, on arrive très vite à un engouement total qui conduit bon nombre de d’étudiants issus de formation diverses à vouloir devenir quant
Chaque année de plus en plus de jeunes ingénieurs ou universitaires à cursus scientifique sont intéressés par ce métier. Mais comment devient-on "quant" ?...
L’article de Yann Olivier publié sur ce portail décrit bien ce phénomène. On y découvre les déclinaisons possibles du métier de quant en banque. il faut aussi ajouter qu’à l’époque, les activités de recherche en France sont plutôt peu mises en valeur et les jeunes doués en mathématiques y voient un moyen de tirer profit de la manne financière disponible en finance de marché pour les quants talentueux. Les activités des banques d’investissement francaises fleurissent sous l’impulsion de leurs quants. Certaines batiront même une grande partie de leur réputation sur cette activité.
Au délà des jeunes étudiants, d’éminents scientifiques francais réalisent de grands travaux dans le domaine des mathématiques financières. Nicole El Karoui, Bruno Dupire et bien d’autres deviennent des références académiques dans le domaine, au même titre que des célébrités anglo-saxonnes comme Paul Wilmott
ET AUSSI UN INFORMATICIEN...
En France, de nombreux ingénieurs financiers éprouvent une certaine aversion pour l’informatique. Certains, fascinés par les modèles, n’envisagent pas une seule seconde d’écrire des milliers de lignes de code...
Très vite, au delà de l’abstraction de la construction intellectuelle, on demande au quant de passer à l’implémentation. Le passage semble être un peu plus douloureux pour le quant français, comme en témoigne l’article de Yann Olivier qui conclut sur cette phrase Le quant de demain sera plus que jamais, sans aucun doute, un « informathématicien ». Il faut noter que l’introduction du « cadre mathématique » en finance s’accompagne de lourds développements informatiques et conduit même à la création de métiers nouveaux : les « commandos ». Il s’agit d’informaticiens en « mission spéciale », devant être capable de comprendre des algorithmes et de les implementer dans des délais relativement courts. Cet interfaçage entre l’utilisation concrète et la modélisation mathématique va rapidement en faire des éléments indispensables et ils finiront par être assimilés en quelque sorte aux quants. Les anglo-saxons utilisant notamment l’expression Quant Developer.
ET ENFIN UN PHYSICIEN
Si le passionné de mathématiques trouve sa place au sein d’un banque d’investissement vendant des solutions clé en main aux clients, les amateurs de physique et statistiques trouveront leur bonheur en gestion d’actifs. En effet, le quant en BFI réflechit autour d’une problème et doit y apporter une solution à une date donnée (qui correspondra à la vente du produit). Celui qui travaille en asset management doit aussi s’assurer que sa solution est surtout pérenne (même si pas optimale à une date donnée) et s’adapter dans le cas contraire afin de gérer dans la continuité l’argent des clients susceptibles d’investir à tout moment.
Selon Fabrice Foy, Analyste Quantitatif chez CCR-AM, il faut prendre le contre-pied de la théorie classique : le cours d’une action n’est pas le reflet des fondamentaux et, s’il s’écarte de sa valeur fondamentale, il ne tend pas nécessairement à y (...)
Cette démarche auto-adaptative liée aux incertitudes de l’évolution des marchés est plus proche de la physique et explique le fort succès des physiciens dans le domaine de la gestion.
Un bel exemple d’illustration du lien potentiel entre la physique et la finance est donné par Fabrice Foy dans son article publié sur ce portail : Prédire ou s’adapter. L’article va même plus loin et débouche sur une évolution de la finance quantitative qu’on abordera en fin d’analyse. En France, le succès de la démarche quantitative en asset management est actuellement illustré par le hedge fund Capital Fund Management (CFM), construit sur une approche exclusivement quantitative et avec un comité scientifique dans lequel on retrouve des physiciens !
QUANT : DE L’ÉTAT DE GRÂCE À LA DISGRÂCE
Après avoir été au top et considérés par certains comme « l’élite de la finance », les quants, qu’il soient en banque d’investissement ou en asset management vont connaitre une période noire, qui n’est, à ce jour, probablement pas terminée.
Avec les pertes enregistrées par un des fonds du mythique Renaissance Technologies et trois autres fonds de Goldman Sachs, l’industrie de la gestion quantitative est peut être confrontée à sa première véritable crise.
Tout commence (ou presque, du moins pour le grand public) en Août 2007 avec la tempête sur les fonds quantitatifs. Peu avant on découvrait que l’ultra-quantification avait conduit une poignée de quants en banque d’investissement à être peu vigilants sur les hypothèses de calcul. La crise est mondiale et soulève les premières intérrogations sur la gestion quantitative et surtout sur la perception du risque des modèles. Les critiquent fusent de toutes parts et étouffent même les voix des académiques qui avaient anticipé les insuffisances et leurs propositions innovantes : le mal est fait et la rupture effective, d’autant plus que l’opinion publique découvre avec fracas que les collectivités locales, avides de rentabilité, ont succombé aux sirènes de la structuration sans en connaître véritablement les risques inhérents.
VERS UN SURSAUT DU MONDE QUANTITATIF ?
L’activité quantitative ne s’est (heureusement) pas interrompue. La structuration continue de faire globalement profil bas en France avec quand même quelques opérations ici et là. la gestion quantitative, qui a plutôt bien traversé les périodes de crises a fait le choix de s’organiser afin de mieux défendre ses intérêts tout en améliorant sa qualité de service : le projet associatif QuantValley en est une parfaite illustration.
Challenges, positionnement et perspectives de la gestion quantitative en France. Respectivement Président et Vice-Président de QuantValley, Arnaud Chrétien et Serge Darolles repondent à nos questions et nous présentent leur projet de Place visant à promouvoir l’image de paris (...)
La tâche ne sera toutefois pas facile. Le régulateur, dont le rôle est primordial pour le bon fonctionnement des marchés, multiplie les interventions afin de réduire au silence les derniers ilots du "monstre quantitatif". Hélas, cela se fait parfois au détriment d’une certaine cohérence comme en témoigne l’article High Frequency Trading : Positif pour le change et négatif pour les actions ?
Au delà d’une résistance organique, on note aussi une mutation de l’univers des quants. À l’image de la banque d’investissement ou la gestion traditionnelle qui souhaite redorer son blason en orientant les dévéloppement vers des produits plus socialement responsables pour les uns et une gestion dite ISR pour les autres, le monde quantitatif semble avoir trouvé une solution. Une des critiques principales de l’utra-quantification est la déshumanisation qui entraine une déconnexion de la sphère réelle. Aujourd’hui, comme le mentionne Fabrice Foy dans son article cité précédemment, le quant réintroduit le biais humain via la finance comportementale. Tout un programme me direz vous ! J’invite le lecteur curieux à parcourir le portail pour en apprendre un peu plus. On notera quand même que le concept n’est pas nouveau (et n’est donc pas un simple effet de mode) comme le souligne Emmanuel Regnier en signant l’article : Des tulipes hollandaises à la panique de 2008... ou encore Michel Verlaine dans l’article : Vers une théorie comportementale du portefeuille .
La réflexion ci-dessous de Mory Doré est une parfaite conclusion
Je lisais récemment dans une revue que pour être un bon professionnel des marchés dans la recherche, le trading et la structuration, il fallait être tout à la fois: bon mathématicien, bon physicien et bon informaticien. Si on peut être tout cela à la fois, parfait mais ceci ne dispense pas d’approfondir ses connaissances dans le domaine de la finance comportementale.Mory Doré
ÉPILOGUE
Alors qu’il est toujours pas évident (pour moi tout au moins) de définir précisément la finance quantitative, on peut néanmoins noter que des raisons fondamentales fortes légitimes pleinement l’existence actuelle et future du quant. On peut en lister au moins trois :
La critique formulée à l’encontre du monde quantitatif ne porte pas sur la crédibilité du savoir scientifique mais sur l’utilisation abusive de celui-ci. Ainsi la base de connaissance scientifique reste valable (et il ne saurait en être autrement car la même base est utilisée dans d’autres domaine hors finance) et il faut juste l’exploiter avec des hypothèses plausibles
Si l’actuelle crise, dite des « subprime », met en lumière, à la fois la complexité de la Finance Structurée ainsi que le besoin de procédures de gestion des risques plus élaborées, force est aussi de constater une certaine mécompréhension de la part de certains décideurs économiques (...)
Le spectre d’analyse actuel de la finance (l’ensemble des paramètres à prendre en compte) est trop large pour imaginer en faire le tour en se privant d’outils d’analyse quantitative. Je rejoins sur ce point un haut responsable de la Société Générale qui déclarait lors d’une interview sur ce portail : « Si certains produits sont complexes, ce n’est pas simplement pour faire plaisir aux banques. La question est de savoir comment on peut résoudre un problème convexe par une solution linéaire. » et j’invite le lecteur à relire le très bon article de Michel Verlaine sur la finance structurée (voir description ci-à droite). La complexité nait très souvent de l’expression du besoin et pas nécessairement de la solution proposée. D’ailleurs, au délà même des opérateurs de marchés, le régulateur aussi s’invite dans l’univers des mesures quant afin de suivre les activités (et implicitement réutilise des outils paradoxalement diabolisés).
Enfin, l’usage du quantitatif a permis de « normaliser » les critères d’évaluation et faciliter les procédures de contrôle interne. Cela peut surprendre mais c’est aussi une réalité. Le quant évolue dans un cadre d’analyse prédéfini, un schéma de pensée scientifique connu de tous (indépendamment des horizons et cultures). Ainsi, tout autre quant peut à priori reprendre l’étude (du moins, en théorie) et revalider les hypothèses. Le quant a mis un terme au biais spécifique du gérant / analyste star pour introduire celui plus systémique de la science.